09 décembre 2005
LES PIEDS DE RAPHAËL
J’ai honte! Mon fils Raphaël patine sur la bottine. Il me dit « Regarde ben ça, Papa. Le joueur y va patiner vite, vite, vite! » Et là, il s’imagine que ce qu’il fait ressemble à ce qu’on a vu à la télévision. Raphaël et moi, on regarde le hockey ensemble. Comme mes frères et moi le faisions avec mon père. Le hockey c’est héréditaire. Le regarder à la télé avec mon gars, c’est moins « le fun » que quand il était tout petit. Aujourd’hui, c’est trop long, il préfère jouer que de regarder les autres jouer. Remarquez, je le comprends. J’aime mieux r’trouver sur la glace avec mes chums et m’imaginer que je suis Denis Savard ou Mike Bossy. Je n’ai jamais patiné sur la bottine. Raphaël me dit « Regarde ben ça, Papa, comme mon cousin Alex » Puis j’ai honte. Il aime tellement jouer au hockey. Autant que moi à son âge. Je me suis toujours demandé si c’était vraiment de jouer au hockey qui le faisait tripper, ou si c’est juste le truc pour que son paresseux de père joue avec lui après une journée à l’ouvrage. Moi, j’aimais vraiment ça le hockey… même quand mon père n’était pas sur la patinoire qu’il nous avait faite et qu’il arrosait, passé minuit. Est ce que c’est mon père qui m’a expliqué ou si j’ai compris dès le début que je jouerais jamais avec Guy Lafleur. Mes chums et mes frères non plus ne joueraient pas au Forum. Je regarde mon gars, avec ses bottines, puis j’ai honte de ne pas être capable de lui dire. Mais à vous, je peux le dire : mon gars ne jouera pas dans la grande ligue. Peut-être qu’il ne pourra jamais jouer dans les p’tites ligues non plus. Quand je dis que Raphaël patine sur ses bottines, je parle de ses bottines. Il n’a jamais chaussé les patins. Il fait semblant. Les seules bottines avec des lames de métal que Raphaël ait jamais portées, c’est ses orthèses. Raphaël est né avec les pieds bots. Les pieds croches. Tellement croches qu’on s’est demandé s’il allait marcher un jour. À l’âge d’une semaine, Bébé Raphaël chaussait déjà ses premières bottines de plâtre. À trois mois, c’était sa première opération. Il était trop petit pour l’anesthésie générale. Après ça, ç’a été encore des plâtres, puis ses premières orthèses, la physiothérapie, la douleur, les cris, les pleurs… Puis un dimanche soir dans le salon, puck, puck, puck, debout sur ses orthèses, il a fait ses premiers pas. Depuis ce soir là, les orthèses et les grosses bottines ne l’ont pas empêché de courir après une rondelle ou une balle. Imaginez quand on lui a mis son premier bâton de hockey dans les mains. « Regarde ben ça, Papa! » J’ai honte de toutes les souffrances qu’on lui impose avec les exercices, les orthèses puis le reste. Honte de la pression que je lui mets sur les épaules en même temps que sur les pieds. « Place tes pieds comme il faut, mon gars! Si tu veux être capable de patiner comme ton cousin Alex, » Et lui répond « oui, Papa » Raphaël vient d’avoir quatre ans. On lui a offert un cadeau. Ses premiers patins. En fait, ce sont les premiers patins d’un autre p’tit gars que je ne connais pas. Pourquoi acheter des patins neufs sans savoir si…? J’ai honte. Je trouve ça « cheap », En tout cas, le p’tit est bien content. À l’aréna, Raphaël est tout excité de sauter sur la vraie glace, de faire un tour de la grande patinoire lui-même, pas dans les bras de Papa. Sur le banc des joueurs il y a Maman Sophie qui filme. Dans les estrades, il y a Grand-Papa Jean-Claude, debout en haut de l’escalier, pour être certain que le p’tit l’a vu. Je suis sur la glace avec mon gars qui pousse sa petite chaise. La bouche ouverte, le feu dans les yeux…comme le Rocket! J’ai honte. Honte de pas savoir d’où me vient toute l’eau qui me coule dans la face. Je regarde dans les estrades puis sur le banc, puis je comprends d’où ça vient cette eau là. Arrêtez ça, je vois plus rien. Je veux voir mon Raphaël qui patine. J’ai honte de ne pas trouver les mots pour lui dire… Je veux lui dire que je n’ai jamais vu quelqu’un patiner aussi bien sur la bottine. Si Madame Docteur Cantin, la physiothérapeute Stéphanie et la gang de l’hopital des Shriners étaient là pour voir ça… Leurs noms sont gravés sur notre Coupe Stanley. Bon, ben, excusez-moi, il faut que j’aille faire le tour de la patinoire avec le plus beau des trophées. Signé Le père de Raphaël Tourangeau (octobre 2005)
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source : christian tétreault, chroniqueur de sport du vrai monde à énergie
saloute
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source : christian tétreault, chroniqueur de sport du vrai monde à énergie
saloute